Airbnb a probablement fait des heureux parmi les voyageurs lorsqu'elle a annoncé au début du mois de mars que les clients pouvaient désormais annuler leurs réservations partout dans le monde et obtenir un remboursement complet, en raison de la pandémie de coronavirus. Mais en prenant cette décision favorable aux voyageurs, elle a rendu furieux de nombreux propriétaires qui proposent des logements par l'intermédiaire de son service. Les hôtes ont déclaré à Business Insider US que leurs réservations ont été presque toutes annulées suite à ce changement, les voyageurs ayant renoncé en masse à leurs voyages.
Beaucoup de propriétaires sont des entrepreneurs ou des patrons de petites entreprises pour lesquels les locations Airbnb sont leur principale source de revenus. Avec cette décision, ils doivent payer le prix d'une politique qu'ils n'ont pas choisie... En effet, le changement de politique d'annulation d'Airbnb a outrepassé les politiques d'annulation des propriétaires, dont la plupart étaient beaucoup plus strictes. "C'est une assurance voyage gratuite à nos frais", a déclaré Evan Lohr, qui gère trois propriétés Airbnb à Santa Cruz, en Californie. "C'est beaucoup plus difficile pour nous. Ce n'est pas vraiment équitable".
Un représentant d'Airbnb a refusé de faire une déclaration officielle. La semaine dernière, dans une lettre ouverte à ses hôtes, les fondateurs d'Airbnb ont déclaré que la compagnie travaillait "jour et nuit" pour trouver un plan pour les aider. "Les derniers jours ont été incroyablement difficiles et déroutants pour tout le monde", ont déclaré les fondateurs. "Nous allons traverser cette crise en tant que partenaires", ont-ils poursuivi, "notre succès dépend de celui de vous, nos hôtes".
Airbnb a outrepassé les politiques d'annulation des hôtes
Airbnb fonctionne comme une sorte d'eBay pour logements, en mettant en relation les voyageurs à des propriétaires particuliers qui proposent des appartements, des maisons et d'autres lieux de séjour dans certaines régions. La société permet généralement aux hôtes de fixer leurs propres prix et conditions, y compris ceux couvrant les annulations.
Mais les propres conditions d'Airbnb comprennent une clause de "circonstances atténuantes" qui permet aux voyageurs d'annuler leur réservation dans certaines situations — même lorsque la politique des hôtes ne le permet pas. Au départ, la société a permis aux propriétaires de décider eux-mêmes de la manière de gérer les annulations dues à l'épidémie de coronavirus.
Cependant, à mesure que la pandémie s'est propagée dans le monde, Airbnb a modifié à plusieurs reprises sa politique en matière de circonstances atténuantes, donnant aux clients plus de liberté pour annuler leurs réservations. Il y a un peu plus d'une semaine, l'entreprise a annoncé qu'elle autoriserait tous les clients à annuler les réservations faites avant le 14 mars inclus et concernant des voyages qui commenceraient au plus tard le 14 avril.
La compagnie était sous pression pour faire un geste pour arranger les voyageurs. Avant même que le Covid-19 ne soit officiellement qualifiée comme une pandémie, de nombreuses personnes estimaient qu'il était peu judicieux ou dangereux de voyager. Depuis que la pandémie a été déclarée, les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies aux Etats-Unis ont exhorté les Américains à limiter leurs interactions sociales afin d'éviter que la maladie ne se propage davantage, et un nombre croissant d'États, dont la France, ont ordonné à leurs résidents de rester chez eux.
Les hôtes qui se sont entretenus avec Business Insider US ont compris la gravité de l'épidémie et les raisons pour lesquelles les voyageurs annulent leur voyage. En effet, nombre d'entre eux avaient déjà commencé à offrir un remboursement intégral aux clients qui annulaient, malgré leur politique d'annulation stricte.
Mais ils sont mécontents qu'Airbnb ne leur ait pas parlé de la manière de gérer la crise, et que l'entreprise ait essentiellement agi seule de son côté.
"En fait, on avait les mains liées", a déclaré Alba Jones, qui gère des propriétés Airbnb à Berkeley, Richmond et El Cerrito, en Californie, et une autre à Puerto Vallarta, au Mexique. "Nous n'avons pas eu notre mot à dire".
Les hôtes sont frappés de plein fouet par les annulationsAirbnb prélève environ 12 % du montant que les clients paient sous forme de commissions et de frais de service. Lorsque les clients annulent, l'entreprise leur rembourse ces frais. Mais cela signifie qu'environ 88 % de l'argent qui est rendu aux voyageurs sort des poches des propriétaires.
De nombreux hôtes ont des politiques qui n'offrent aux voyageurs qu'un remboursement partiel s'ils annulent après les premiers jours suivant la réservation. Étant donné qu'Airbnb a outrepassé ces politiques, beaucoup pensent que la compagnie devrait absorber une plus grande partie du coût du remboursement aux clients — ou prélever une partie de ces coûts aux voyageurs.
"Ils ont laissé les hôtes complètement à sec", a déclaré Linda Misner, qui loue une maison à Tampa, en Floride, sur Airbnb. "Il aurait dû y avoir une compensation pour les hôtes qui ont perdu tout leur business."
Airbnb aurait environ 3 milliards de dollars en banque. Mais étant donné le nombre de réservations effectuées par le biais de son service et le fait que la plupart des revenus de ces réservations vont aux hôtes, son business model signifie qu'elle ne peut pas vraiment se permettre de rembourser une grosse partie des revenus perdus par les hôtes sans risquer de se retrouver elle-même à court d'argent en quelques mois.
L'entreprise fait donc porter la responsabilité de ce coût aux hôtes. Et Linda Misner et d'autres propriétaires disent que l'impact que le changement de politique d'annulation d'Airbnb a eu sur eux a été énorme.
Evan Lohr, qui tire la plupart de ses revenus des locations Airbnb, a déclaré que les trois propriétés qu'il gère étaient réservées pour tout le mois de mars et presque tout le mois d'avril. La plupart de ces réservations ont maintenant disparu, et de nombreux clients attendent la dernière minute pour annuler. Beaucoup de ces annulations se sont produites avant que la Californie n'annonce l'ordre de confinement dans tout l'État, à la fin de la semaine dernière.
Avant l'épidémie, la maison louée par Linda Misner était réservée pendant une grande partie des deux mois à venir, a-t-elle déclaré. Ces dernières semaines, il n'y a pas eu de nouvelles réservations et presque toutes ses réservations existantes ont été annulées à la suite du changement de politique d'Airbnb.
Entre temps, Keith Dorsey, qui tire environ 80 % de ses revenus de la gestion de plusieurs logements Airbnb à Atlanta avec sa femme, a déclaré qu'il avait perdu le compte du nombre d'annulations qu'il avait reçues depuis qu'Airbnb avait modifié sa politique.
"Pour préserver ma santé mentale, j'ai arrêté de compter", a déclaré Keith Dorsey. "C'était trop."
Les remboursements de prêts immobiliers ne sont pas facultatifsCe qui inquiète les propriétaires, c'est que même si leurs logements Airbnb ne génèrent plus de revenus, ils ont encore des dépenses courantes — remboursement de prêt immobilier ou loyer à payer, charges, frais de nettoyage et d'entretien. Les voyages sont souvent des dépenses facultatives, effectuées lorsqu'on en a les moyens, affirment-ils, et les compagnies aériennes, les hôtels et autres agences de voyage ne remboursent généralement pas intégralement les annulations de dernière minute.
En revanche, l'argent que les hôtes Airbnb gagnent sur ces dépenses facultatives des gens qui peuvent se permettre de voyager sert à payer des factures qui sont tout sauf facultatives, disent-ils.
"Le remboursement de mon prêt immobilier n'est pas facultatif", a déclaré Victoria Kay, qui loue une chambre et le sous-sol de sa maison de Knoxville, dans le Tennessee, sur Airbnb.
Certains ont dit qu'ils ne pourraient tenir que quelques mois sans leurs revenus provenant d'Airbnb.
Keith Dorsey a profité de certains programmes qui lui ont permis de repousser le paiement de sa voiture et le remboursement d'un autre prêt. Il dispose également de quelques économies dans lesquelles il peut puiser. Malgré cela, il ne pourra tenir qu'environ 90 jours sans les revenus d'Airbnb.
Au bout de 90 jours, "je serais probablement moi-même confronté à une expulsion", a-t-il déclaré.
La semaine dernière, Airbnb a envoyé une lettre au Congrès américain pour l'exhorter à offrir des prêts et des allègements fiscaux aux propriétaires de biens de location à court terme qui figurent sur son site et autres. Mais plusieurs des hôtes qui se sont entretenus avec Business Insider US n'ont pas été impressionnés par cette demande d'aide législative de l'entreprise. Les prêts et les crédits ne remplaceraient pas leurs pertes de revenus, ont-ils déclaré. Et la lettre d'Airbnb semblait être une tentative de la société de détourner l'attention de la façon dont elle avait sapé leur business.
"Je ne pense pas que dire que vous allez demander au Congrès de vous offrir des prêts soit une façon d'apaiser les hôtes qui sont en train de tout perdre", a déclaré Linda Misner.